vendredi 24 juillet 2015

Smile is the only tax free item

C'est peut-être parce que c'était étrange de nous voir.
Ou qu'il n'y avait que des camions et des militaires sur la route.
Ou des motos version testostérone.
Mais, aujourd'hui, tout le monde nous souriait en nous envoyant la main.


Tout le monde.

(...)

C'était, cette fois-ci, l'idée d'un couple de Suisses rencontré lors de notre trek.
Leh-Lamayuru en scootie.
120 kilomètres pour se rendre et autant pour en revenir, naturellement.
Avec un dodo sur place, c'était jouable et très séduisant pour les deux scootardes que nous sommes maintenant devenues.
Un vrai de vrai road trip.
Comme dans mes rêves.
Enfin, presque.

Pour le chemin, c'était simple, fallait suivre la route à droite en sortant de Leh.
Et tout droit ensuite.
Facile comme tout.
De toute manière, il y a comme juste une route qui passe par l'aéroport et qui, ensuite, serpente par des tas de campements militaires, à travers les montagnes.
Elle est même en relatif bon état.
Lacets, sables, roches, bouette et multiples croisements de camions dans des tournants étroits.
Mais, bon, c'est le Ladakh.
Si je voulais rouler sur la 20, je ne serais pas ici, disons.

Nous sommes donc parties, Catherine et moi, avec un sac pour une nuit, deux casques et un scootie Honda presque neuf.
On était excitées comme deux gamines qui s'en allaient faire un mauvais coup.


(..)

Sur la route, presque personne au fait.
Nous roulions seules.
Entourées de montagnes.
Tout le temps des montagnes.
Et du désert de roches.
La route est la seule route qui relie Leh et Kargil, l'autre ville importante du Ladakh.
Entre ça, il n'y a rien...ou pas grand chose.
Le Ladakh est une région vide et solitaire.
Des fois, on croisait des gros camions qui nous envoyaient gentiment de la boucane noire dans les yeux.
Des fois, des motos.
Deux fois des vélos (respect profond pour ceux qui pédalaient).
Et surtout, nous croisions des tas de gens sur le bord de la route qui cassaient ou déplaçaient des caillous.
Des métiers de misère.
Du travail de fourmis.
Des forçats modernes.
Ni plus, ni moins.
Des femmes, des enfants et des hommes en guenilles qui trimaient au soleil pour tenter de gagner la bataille contre les parois rocheuses.
Tenter de.
Quand on sait que c'est inutile et qu'inévitablement c'est la montagne qui va gagner.
Invariablement, on ne gagne pas contre la nature.

Ce qui était le plus drôle c'était tout de même de lire les panneaux sur le bord de la route.
Je ne sais pas qui les compose mais ils sont vraiment tordants et ça a pour but d'inciter à la prudence.
Mon préféré est "be soft on my curves" et le préféré de Catherine étant "after whisky driving risky".
On a failli se rendre dans le champ plusieurs fois juste pour les prendre en photo.
On repassera pour la prudence.

Nous nous sommes rendues en 4 heures à Lamayuru.
Un village installé sur des parois rocheuses en plein coeur de ce que l'on nomme le Moonland.
Parait que c'est l'ancien fond d'un lac qui s'est évaporé suite aux prières d'un moine.
Prières ou pas, c'est impressionnant comme formation rocheuse.

On s'est trouvé un gite pour la nuit et on a fait la sieste.
Parce que bon, la route, ça fatigue vraiment!
Ça fait surtout mal aux fesses mais ça c'est une autre histoire.

Visite ensuite du monastère, souper avec vue sur le monastère et dodo tôt.
Le night life de l'Amayuru étant très restreint.
Disons.

Pluie diluvienne durant la nuit.
Naturellement, il pleut un peu dans la chambre.
Bah, ça où les insectes qui nous tombent dessus durant la nuit.
C'est un mal pour un autre.
On tasse son oreiller pour éviter les gouttes et on monte la couverture un peu plus haut sur notre tête pour éviter les coquerelles qui tombent du plafond.
Des fois.

(...)

Au matin, le scootie ne voulait plus démarrer.
Je réussi finalement à le faire partir en prenant un peu de vitesse dans une pente boueuse et chaotique.
Moi qui déteste le motocross c'est un peu ce que j'avais l'impression de faire.

Au seul croisement de la route, nous décidons Catherine et moi que la bonne route pour Leh est à gauche.
On s'en souvenait très bien, nous étions arrivées par là.
La route qui monte, qui monte et qui monte encore.
La route où personne ne va.

Là, j'avais l'impression de conduire un tracteur à gazon.
Un scootie même un Honda presque neuf, dans des côtes ça n'avance pas vraiment.

Bon, autant le dire tout de suite.
Ce n'était pas la bonne route.
C'était l'ancienne route de corniche qui nous ramenait en tournoyant vers Lamayuru.
Duh.
Mais.
C'était magnifique.
Désert.
La plus belle route du monde.
Suis certaine.

Bon, on a glissé dans de la bouette.
Mais à 20 km heure, c'était plus salissant que dangereux...et je n'étais pas trop près du bord.
Cette fois-ci.
Puis on a roulé dans deux pieds d'eau aussi.
Mais bon.
C'était le fun.
Après.

(...)

Et j'ai laissé conduire Catherine.
En décidant de faire confiance et en l'abreuvant de conseils aux 10 secondes.
Freine, klaxonne, dépasse, attention au sable, là une roche, moins près du bord, accélère...
Genre.
Je m'énervais moi-même mais fallait voir la route et avoir la foi en une certaine bonne étoile ancrée profond.
Disons.

Et, les camionneurs hilares que nous croisions.
Qui nous klaxonnaient juste pour nous envoyer la main.
Et les camions remplis de soldat qui se poussaient du coude pour mieux nous regarder.
Et les gens sur le bord de la route qui s'arrêtaient de peiner pour nous saluer.

Faut dire que nous n'avons pas croisé beaucoup d'équipage comme le nôtre.
Deux filles sur un scootie en direction de rien.
Deux filles qui se faisaient sécher les dents en souriant à tout vent.
Et qui envoyaient la main comme des reines sur une rutilante monture.
Un scootie Honda presque neuf.

(...)

C'était sans doute étrange de nous voir.
Nous n'avions pas vraiment rapport sur cette route.
Entre les camions et les vraies motos.
Nous détonnions et nous le savions.
On se trouvait drôles.
Mais nous étions surtout certaines qu'aujourd'hui, si tout le monde nous envoyait la main c'est surtout parce que nous étions heureuses.

Et que nous avions décidé que, nous aussi, nous allions sourire à tout le monde.


Parce que, comme nous l'avions lu sur un camion nous dépassant, "Smile is the only tax free item".











2 commentaires:

  1. C'est un tel plaisir que de lire ces billets pleins d'énergie, d'exotisme, d'humour, de complicité et de courage. Aller au bout du monde et au bout de soi! J'adore!

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  2. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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