dimanche 5 juillet 2015

Se faire attaquer les sens

Devenir sourde.

Aux demandes, aux salutations, aux interpellations.

Ne pas entendre les gens te héler, ignorer les "hi, where you come from", les nombreux "come here", les crèves-coeur "please madam" des enfants.
Et, les multiples "where are you going" des chauffeurs de rickshaws.

N'entendre que la musique des klaxons.
Pour éviter de se faire frapper.

Devenir aveugle.


Ne pas regarder les hommes dans les yeux.
Savoir très bien qu'ils te fixent, te dévisagent et qu'ils ne baisseront pas leur regard de braises, posé sur le tien.
Curieux.
Apprendre rapidement à éviter le contact visuel.
Regarder les mentons, fixer le dessus des têtes.
 

Ne voir que la beauté qui se dégage du chaos.
Et le sourire vrai des gens qui demandent timidement s'ils peuvent se prendre en photo avec les jeunes filles qui t'accompagnent.

Devenir imperméable.


Aux corps qui dorment dans la rue, aux enfants qui vendent des crayons, aux mendiants qui se trainent par terre.
Laisser notre sensibilité dans un quelconque placard, se cloisonner le coeur.
Se barricader pour ne pas ouvrir trop de brèches émotives.
Passer son chemin rapidement devant la misère.
Attendre à plus tard pour qu'elle te rentre solidement dedans.

En un jour, Delhi rend infirme.

En un jour, Delhi je t'aime.

(...)

Sortir de l'hotel c'est comme ouvrir la porte du four pour vérifier si la dinde est prête.


Il fait chaud et poussiéreux.
Le soleil est voilé mais puissant et les ruelles sombres sont tentantes pour la fraicheur relative qu'on y retrouve.
Et, pour le plaisir de s'y perdre dans cette certitude qu'on débouche de toute manière toujours quelque part.


Et, même si on se perdait...

C'est dans ces dédales que je bois mon premier thé indien du voyage.
Sourire de reconnaitre chez cet homme les mêmes gestes faits par des milliers d'autres.
Gestes que j'imagine millénaires et transmis de générations en générations sans trop savoir s'ils sont vraiment utiles.
Est-ce qu'en soulevant régulièrement le thé pour le faire s'aérer celui-ci est vraiment meilleur?


J'aime à croire que oui.
De toute manière, c'est beau.

Se dire qu'on a vraiment été indienne dans une autre vie.
Ou qu'on le sera possiblement dans une prochaine.
Trouver que même la saleté est belle et émouvante.


Delhi est une poubelle à ciel ouvert et malgré cela, nous sommes incapables de jeter des trucs par terre.


Delhi est une ville qui semble se remettre péniblement d'une guerre.
Celle de la survivance.

Cette impression d'être dans une séance intense et sans fin de yoga chaud.
Boire sans limite et suer tout autant.
Et tous ces hommes en jeans et en chemise manches longues.
Et ces femmes couvertes.
Et ces vendeurs devant leur brasero.
Et cette femme qui repasse avec un vieux fer en fonte chauffé au charbon de bois.
Et ces hommes qui pédalent.
Efforts et sueur dans un climat hostile.

Prendre le métro.
Constater que le wagon de tête est réservée uniquement aux femmes.
Trouver ça questionnant et troublant d'avoir eu la nécessité de créer ce wagon.
Se demander d'ailleurs où sont les femmes.
Delhi semble être une ville d'hommes.

Delhi est une fourmillière attaquée par des termites.
Trouver que ça sent bon souvent et que ça pue intensément aussi souvent.

Fascinée et séduite par la faculté d'adaptation des gens ici.
Admirative parce que tout ce désordre fini par faire un certain sens.
Celui de la vie.

Ne pas vouloir être ailleurs.
Pas maintenant
Pas tout de suite.

Delhi je t'aime car ton agitation m'apaise.

Delhi je t'aime parce que tu es toute croche.

Imparfaite.





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