mercredi 22 juillet 2015

All is well pareil

Il pleuvait.
Dehors et aussi dans la chambre avec le plafond qui dégoutait d'un peu partout.
C'était un temps moche et l'ambiance était vraiment morose.
Vraiment.
Nous espérions un coin tranquille pour nous poser un peu et nous avions fait des kilomètres d'autobus pour ne trouver qu'un village poussiéreux et glauque.
La Birmanie nous rentrait dedans solide.
5 mois que nous étions en cavale.
C'était décembre, le temps des fêtes.
Dans ce village perdu, sur le bord d'une route principale, nous attendions que le temps passe ou encore de trouver une meilleure idée pour aller se faire voir ailleurs.
En attendant, nous stagnions.
De partout.

Et si on écoutait un film indien?
Toujours bon pour le moral ça, un film indien.
Et c'est ce que nous avons fait en regardant le film "Les trois idiots".
Et nous avons ri.
Beaucoup.
Un comfort movie.
Et dans la chambre, il faisait un peu moins sombre, tout d'un coup.

La dernière scène nous projettait dans un décor fabuleux.
Sur le bord d'un lac de montagne d'un bleu hallucinant.
Un miroir sorti de la terre.
Catherine et moi, on s'était regardées.
On va aller là un jour.
On ne sait pas c'est où, on ne sait pas quand, mais c'est certain qu'on y sera.

Un jour.


(...)

Nous sommes partis tôt, dans une camionette que nous partagions avec deux jeunes soeurs australiennes, un jeune israélien (le Ladakh est peuplé de jeunes israéliens qui voyagent quelques mois après leur service militaire obligatoire et qui en profitent pour se geler solidement) et un touriste indien ingénieur (l'Inde est peuplée d'ingénieurs, pour vrai, c'est hallucinant! ils sont TOUS ingénieurs).

Cela prend plus de 5 heures de route pour couvrir les 100 kilomètres qui nous séparent du lac Pangong, avec un passage à 5300 mètres d'altitude.
La route est sinueuse, étroite, détruite à 80%, sableuse, cabossée et on se fait brasser la cage pas mal.
Vraiment pas mal.
Genre la machine à laver à spin.
Pendant 5 heures.

Mais, c'est sympathique à bord.
David a mis du jazz dans la voiture et c'est tout de même un peu étrange comme mélange culturel.
Disons que ça ne fitte pas pantoute mais que ce n'est pas très grave.
On jase et on s'entend bien.

Il fait gris par contre.

Notre première impression du lac est...disons ordinaire.
C'est beau, certes, mais...serions-nous blasées?
L'indien dans la voiture pleurait presque de joie en disant que c'était la plus belle vue qu'il avait jamais vu de sa vie.
Pense pas qu'il ait déjà été en Suisse.

Catherine et moi on se disait qu'ils avaient été vraiment bons, avec les effets spéciaux, dans le film.
Nous nous sommes demandées, surtout, comment ils avaient faits pour couper toute la scrap autour du lac.
Remarque, elle n'existait peut-être pas avant?

On s'entend, le lac est magnifique.
Entouré de montagnes, bleu ciel.
Immense.
Avec les sommets enneigés, la pierre.
Un miroir pour vrai.
Mais, même s'il y a très peu d'habitations autour, lorsqu'il y en a c'est laid.
Très.
À croire qu'ils le font exprès.
Un mélange de ruines, de constructions à moitiés finies, de vidanges, de tôles, de n'importe quoi.

Et cette envie qui me tiraille d'organiser tout ça.
Les poubelles à une place, on va faire un vrai chemin, on va finir les maisons, on va cacher les génératrices, on va dégager la vue, on va couvrir les toilettes, on va uniformiser les affiches, on va laisser quelques arbres, on va ramasser la roche, on va interdire les cabanes en plywood et les bâches en plastique.
Ma génétique suisse, ici, souffre.

Avec l'Indien et l'Israélien nous avons joué la plus "belle" chambre à pile ou face.
Catherine et moi avons gagné la belle vue sur le lac, certes, mais sur le reste aussi.
Deux murs de vue sur de la roche, des sacs de sables, des fils électriques, des maisons en ruines et...le lac au-dessus.
Tout de même.

Nous avons marché longtemps, avant le souper, le long du lac.
Le plus intéressant étant de voir tous ces Indiens en vacances et qui viennent ici en moto pour se faire prendre en photo.
Postures bollywoodiennes en prime, c'est tordant.
Sont habillés comme s'il faisait -40.
J'imagine que c'était de mise dans le forfait "escapade à la montagne".

(...)

Après souper, nous avons sorti les cartes.
Décidément, ça va finir par devenir une habitude.
Nous avons joué avec David et un couple de wallons.
Au trou-de-cul style internationnal avec un savant mélange des règles de tout le monde.
Ça nous a pris un bon 10 minutes à compiler des réglements mais après, ça a été comme sur des roulettes.
Sans toutefois réussir à battre l'israélien qui a joué, il parait, pas mal aux cartes dans la bande de Gaza, entres autres occupations.
Well.

Demain, on va tenter de se réconcillier avec le lac
Notre indien extatique qui ne se peut plus a même demandé à notre chauffeur de nous amener plus loin, demain matin.
Vers un lieu sans habitation.

On va peut-être se réconcillier pour de vrai

(...)

Naturellement.
C'était magnifique.

Nous avons roulé 10 kilomètres vers la Chine (la majeure partie du lac se trouvant en territoire chinois) et, loin de l'empreinte de l'homme, le lac retrouvait toute sa splendeur.
Unique.
Solitaire.
Un joyau serti de montagne.
Doux.
Harmonieux.

Et nous y avons passé 3 heures.
À ne rien faire de plus que jouer dans le sable, prendre des photos, contempler toutes les couleurs du ciel se réflétant dans l'eau.
Les motards indiens avaient disparu, ne restait que nous six et le lac.
Avec cette envie de calme qui nous habitait tous.
Contemplatifs.
Impossible de toute manière de faire autrement.




(...)

Et il a fallu rentrer.
Un orage grondait dans les montagnes.
Sur la route, la pluie s'est mise à tomber.
Des trombes.
Dans un pays fait de terre et de pierre, la pluie est une arme de destruction massive.
Les routes deviennent des rivières, des cloaques.
Tout semble se lessiver et se diluer dans la même démocratisation boueuse.
Tout ce brun qui englue, même les voitures.

Et, cette certitude qu'il faudra ensuite tout refaire.
Reconstruire, recommencer.

Dans ce pays, il faut cultiver le fatalisme et la patience.
Les routes qui disparaissent ou qui s'effondrent.
L'internet qui coupe pour des semaines.
L'eau qui manque.
L'électricité aléatoire.
Les chemins qui n'existent plus.
Les ponts emportés.
Les terrains qui glissent.

Refaire.
Inlassablement.

L'enfer de Sysiphe.

Impressionnant, tout de même.

Nous sommes rentrées, crevées.
Les os en petites miettes et transies.
Avec cette impression d'avoir survécu à quelque chose, sans trop savoir ce que c'est vraiment.
L'ordinaire ladakhi sans doute.





.










Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire